Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/238

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la vie que nous reconnaissons comme raisonnable ? Hélas ! malheureux que nous sommes ! non seulement nous manquons totalement d’une semblable doctrine, mais nous avons perdu même toute conscience de la nécessité d’une doctrine raisonnable de la vie.

Demandez aux gens de notre siècle, croyants ou sceptiques, quelle est la doctrine qu’ils suivent dans la vie. Ils seront obligés de convenir qu’ils ne suivent qu’une doctrine : celle qui résulte des lois rédigées par les employés affectés à ce travail ou par les assemblées législatives, et mises en vigueur par la police. — C’est l’unique doctrine reconnue par nous autres Européens. — Ils savent que cette doctrine ne vient pas d’en haut, ni des prophètes, ni des sages ; ils blâment constamment les règlements rédigés par ces employés ou ces assemblées législatives, mais ils les reconnaissent tout de même et se soumettent à la police chargée de les mettre en vigueur ; ils s’y soumettent sans murmure et cèdent aux exigences les plus terribles. Ces employés ou ces assemblées statuent que tout jeune homme doit être prêt à saisir les armes, à mourir lui-même et à tuer les autres, et tous les pères et les mères qui ont des fils adultes obéissent à cette loi, rédigée la veille par un employé mercenaire et révocable le lendemain.

L’idée d’une loi raisonnable en elle-même et obligatoire pour chacun dans son for intérieur est à tel point perdue dans notre société que l’existence, chez les Hébreux, d’une loi qui réglait toute la vie, d’une loi qui n’était pas obligatoire, puisqu’elle s’appuyait, non sur la force, mais sur la conscience de chacun, — est considérée comme un attribut exceptionnel du peuple hébreu.

Ainsi, que les Hébreux n’aient obéi qu’à ce qu’ils