Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mencement pour en prendre un autre force son compagnon à s’adonner à la débauche, et introduit ainsi dans le monde un mal qui se tournera contre lui. Je crois à cela, et cette foi change toute mon ancienne appréciation de ce qui est bon et grand, — mauvais et bas dans la vie. Ce qui me paraissait auparavant la plus belle chose du monde — l’existence raffinée, esthétique, les amours poétiques, passionnées, — chantées par tous les poètes et les artistes, — tout cela me paraît mauvais et dégoûtant. Au contraire, bonne me paraît la vie rude et indigente, qui modère les désirs sexuels ; grave et importante me paraît, moins l’institution humaine du mariage, qui appose le sceau extérieur de la légalité à l’union d’un homme et d’une femme, que l’union même de chaque homme avec chaque femme, laquelle une fois consommée ne peut plus être violée sans la violation de la justice, — de la volonté de Dieu. Et si maintenant encore, dans mes moments d’oubli, je puis céder au désir de chercher la volupté avec d’autres femmes, je ne puis plus, connaissant le piège qui me livre en proie à ce mal, travailler sciemment à l’organiser comme je le faisais auparavant. Je ne puis pas désirer et chercher l’oisiveté physique et l’existence grasse qui attisait en moi l’excès de sensualité ; je ne puis plus rechercher ces amusements qui sont de l’huile sur le feu de la sensualité amoureuse — les romans, la plupart des poésies, la musique, les théâtres, les bals, qui auparavant, non seulement ne me paraissaient pas des amusements nuisibles, mais fort élevés ; je ne puis plus abandonner ma femme, sachant que l’abandon de ma femme est le piège principal pour moi, pour elle et pour les autres ; je ne puis plus contribuer à l’existence grasse et oisive