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Page:Tolstoï - Plaisirs cruels.djvu/18

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comme un secret remord plein d’angoisse.

Cependant nous pouvons, dans une certaine mesure, dire qu’en général nul ne meurt de faim par défaut de travail, et que la difference entre les classes diverses — au moins dans l’Europe occidentale — consiste en ce qu’il y a d’une part un luxe souvent très grand, et d’autre part seulement le strict nécessaire[1].

  1. Cette assertion que personne ne meurt de faim est évidemment exagérée. D’abord il y a les petits enfants qui, mal nourris et mal soignés, meurent de faim en réalite. Puis il y a des maladies causées par la misère et une alimentation insuffisante. Ces maus, hélas, ne sont que trop réels, et la charité publique, puissamment secondée par la charité privée, ne suffit pas à les pallier.
    Mais ce n’est pas en diminuant son luxe qu’on arrivera à supprimer cette misère, cause de tant de souffrances et de tant de morts ; c’est en réformant l’organisation sociale, et surtout, ce qui est plus important encore que toute réforme sociale, en combattant les vices de la civilisation ; l’alcoolisme par exemple, et la paresse, et le jeu. Le plus souvent, ceus qui sont misérables le sont en partie par leur faute ; sinon par leur faute morale (car il faut être bien indulgent pour les erreurs humaines), au moins par le fait de leurs actes. Un ouvrier, s’il est sobre, peut gagner sa vie et celle de ses enfants. Nous devons donc, au lieu de l’enrichir par une aumône vite disparue, chercher à lui donner l’habitude de la sobriété et du travail.
    Ce qui entretient la misère, ce n’est pas le luxe des riches, ce sont les vices des pauvres : ils sont pauvres parce qu’ils ont des vices : c’est donc un paradoxe de prétendre que notre luxe (comme celui du pain frais, des lits, du savon, des montres, des lunettes) est cause de misère.