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Page:Tolstoï - Qu’est-ce que l’art ?.djvu/120

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charme de la poésie consiste en ce qu’on ait à en deviner le sens, tout poème devant toujours contenir une énigme :

Je pense qu’il faut qu’il n’y ait qu’allusion. La contemplation des objets, l’image s’envolant des rêveries suscitées par eux, sont le chant. Les Parnassiens, eux, prennent la chose entièrement et la montrent ; par là, ils manquent de mystère ; ils retirent aux esprits cette joie délicieuse de croire qu’ils créent. Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème, qui est faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer peu à peu un objet pour montrer un état d’âme, ou, inversement, choisir un objet et en dégager un état d’âme, par une série de déchiffrements… Si un être d’une intelligence moyenne, et d’une préparation littéraire insuffisante, ouvre par hasard un livre ainsi fait, et prétend en jouir, il y a malentendu, il faut remettre les choses à leur place. Il doit y avoir toujours énigme en poésie ; et c’est le but de la littérature, il n’y en a pas dautre, d’évoquer les objets. (Réponse de Mallarmé à J. Huret, dans l’Enquête sur l’évolution littéraire.)

C’est bien, comme on le voit, l’obscurité érigée en dogme artistique. Et le critique français Doumic, qui n’a pas encore admis ce dogme, a bien raison de dire « qu’il serait temps aussi d’en finir avec cette fameuse théorie de l’obscurité, que la nouvelle école a élevée, en effet, à la hauteur d’un dogme ».