Page:Tolstoï - Qu’est-ce que l’art ?.djvu/67

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biner une théorie de l’art qui puisse s’adapter à toutes ces œuvres. On reconnaît d’abord un canon artistique, suivant lequel on tient pour des œuvres d’art certaines productions qui ont le bonheur de plaire à certaines classes sociales, les œuvres de Phidias, de Raphaël, de Titien, de Bach, de Beethoven, d’Homère, de Sophocle, de Dante, de Shakespeare, de Goethe, etc. ; et, après cela, les lois de l’esthétique doivent être arrangées de telle sorte qu’elles embrassent la totalité de ces œuvres.

Un esthéticien allemand que je lisais l’autre jour, Folgeldt, discutant les problèmes de l’art et de la morale, affirmait nettement que c’était pure folie de vouloir chercher de la morale dans l’art. Et savez-vous l’unique preuve sur laquelle il fondait son argumentation ? Il disait que, si l’art devait être moral, ni Roméo et Juliette de Shakespeare, ni Wilhelm Meister de Goethe ne seraient des œuvres d’art ; or ces livres ne pouvant manquer d’être des œuvres d’art, toute la théorie de la moralité dans l’art se trouvait ainsi réduite à néant. Sur quoi Folgeldt se mettait en quête d’une définition de l’art donnant accès à ces deux œuvres : ce qui le conduisait à proposer, comme le fondement de l’art, la « signification ».