Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/21

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jusque-là. » La prison et l’étape lui semblaient une terre promise.

Pendant qu’il racontait son histoire, trois ou quatre hommes de la foule avaient confirmé ses paroles et dit qu’eux aussi se trouvaient dans la même situation. Un jeune homme pâle, à long nez, vêtu seulement d’une chemise déchirée aux épaules et la tête couverte d’une casquette sans visière, parvint à se faufiler à travers la foule jusqu’à moi. Le froid le faisait horriblement trembler ; néanmoins il tâchait de sourire d’un air de mépris, pendant que les moujiks parlaient. Je lui offris du sbitiène ; il prit le verre, s’y réchauffa aussi les mains et commença à parler ; mais il fut aussitôt écarté par un individu de haute taille, brun, au nez d’aigle, la tête nue, et ayant pour tous vêtements une chemise de calicot et un gilet. L’homme au nez d’aigle me demanda aussi du sbitiène. Puis vint un vieillard, grand, la barbe en pointe, vêtu d’un paletot serré par une corde autour de la taille et chaussé de laptis ; il était ivre. J’aperçus ensuite un homme de petite taille, le visage enflé et les yeux larmoyants, portant un veston en coutil blanc et dont les genoux nus, qui sortaient par les trous de son