Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/43

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puis sur les marches de l’escalier. Une femme maigre sortit la première en courant, les manches retroussées, vêtue d’une robe rose déteinte et les pieds nus dans des souliers. Derrière elle, courait un homme aux cheveux en désordre, chaussé de galoches, vêtu d’une chemise rouge et d’une culotte large comme une jupe. L’homme rattrapa la femme sous l’escalier : « Tu ne m’échapperas pas » -— dit-il en riant. « Viens, diable louche ! » s’écria-t-elle, évidemment flattée par cette poursuite, mais elle m’aperçut et me cria avec colère : « Qu’est-ce qu’il vous faut ? » Comme je ne demandais personne, je me troublai et m’en allai.

Il n’y avait rien d’étonnant dans ce qui venait de se passer ; mais ce que je venais de voir de l’autre côté de la cour, — la vieille injurieuse, le vieillard gai et les gamins qui patinaient, — tout cela me montra sous un nouveau jour l’affaire que j’avais projetée. Je compris alors, pour la première fois, que tous ces malheureux auxquels je voulais faire du bien, outre les moments qu’ils passent à attendre, souffrant de la faim et du froid, la permission d’entrer dans la maison, avaient encore du temps de reste et l’employaient à quelque chose. Ils avaient eux