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Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/92

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donnais pourtant pas mon projet de passer en revue tous ces repaires. Je me sens tout honteux en me rappelant ces visites. D’abord j’allais seul ; mais, cette fois, nous étions une vingtaine de personnes. À sept heures s’étaient assemblés, chez moi, tous ceux qui devaient prendre part à la revue des asiles de nuit. Ces gens m’étaient presque tous inconnus : des étudiants, un officier et deux de mes connaissances ; ces derniers, ayant prononcé en français la formule habituelle : « c’est très intéressant ! » me prièrent de les faire admettre parmi les recenseurs. Mes « connaissances » s’étaient habillés en veston de chasse et portaient de fortes bottes ; c’était le costume qu’ils endossaient chaque fois qu’ils partaient en voyage ou à la chasse… et qu’ils jugeaient nécessaire pour visiter un asile de nuit. Ils s’étaient munis de carnets singuliers et de crayons extraordinaires. Ils se trouvaient dans cet état d’excitation, où l’on se croit invincible, particulier aux chasseurs, aux bretteurs et aux soudards. Ils représentaient parfaitement toute la fausseté et la niaiserie de notre situation ; mais tous, les uns comme les autres, nous étions dans le même cas.