Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/94

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Nous arrivâmes dans une auberge, et nous recommençâmes à mettre en ordre nos cartons. Lorsqu’on nous eût prévenus que les habitants, ayant appris notre arrivée, quittaient leurs logements, nous priâmes le patron de fermer toutes les issues ; en même temps, nous rassurions tous les fuyards, en leur disant qu’ils pouvaient rester tranquilles, que personne ne leur demanderait d’exhiber leurs papiers.

Je me souviens de l’impression pénible que ces gens alarmés produisirent sur moi. À les voir ainsi déguenillés, à demi-nus, à la lueur d’une lanterne, ils me paraissaient tous de haute taille, dans la cour sombre ; effrayés et effrayants à voir, ils se tenaient debout, groupés autour de lieux d’aisances infects, écoutant nos paroles sans y ajouter foi. Il était évident qu’ils étaient prêts à s’enfuir comme des bêtes traquées.

Des messieurs de tout acabit, sergents de ville et de village, juges d’instruction ; tout ce monde traque les misérables sans trêve ni merci, à toute heure, dans les villes, les villages, sur toutes les routes et dans les rues, dans tous les taudis, et tout ce monde ne s’était réuni à huis-clos que pour les compter ! Ces pauvres gens ne