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RÉSURRECTION

— Hé ! que le diable t’emporte, vieille folle, avec tes manières !

Et Philippe se mit respectueusement à remplir les ordres de la fragile et éthérée princesse Sophie Vassilievna.

— Quant à Darwin, — reprit alors Kolossov en s’agitant sur son tabouret, — j’avoue qu’il y a beaucoup de vrai dans sa doctrine ; mais parfois il va trop loin. Parfaitement !

— Et vous, est-ce que vous croyez à l’hérédité ? — demanda la princesse à Nekhludov, dont le silence lui était pénible.

— L’hérédité ? Non, je n’y crois pas ! — répondit-il au hasard, sans pouvoir se détacher des étranges images que lui présentait son imagination. Et, de nouveau, il se tut.

Sophie Vassilievna lui lança un regard perçant.

— Mais je vous retiens, et j’oublie que Missy vous attend ! — dit-elle. — Allez la rejoindre ; elle a l’intention de vous jouer un morceau qu’elle vient d’apprendre, du Schumann. Vous verrez, c’est très intéressant !

« Elle n’a l’intention de rien me jouer du tout ! Tout cela, ce sont des mensonges qu’elle invente on ne sait pas pourquoi ! » songea Nekhludov en se levant, et en déposant ses lèvres sur la main blanche, osseuse, et couverte de bagues, de Sophie Vassilievna.

Dans le salon, il rencontra Catherine Alexievna, la vieille demoiselle, qui l’arrêta au passage :

— C’est égal, je vois que les fonctions de juré ont sur vous une influence déprimante ! — lui dit-elle, parlant en français comme d’habitude.

— C’est vrai ! Excusez-moi ! Je ne me sens pas en train, ce soir, et je n’ai pas le droit d’infliger mon ennui aux autres, — répondit Nekhludov.

— Et pourquoi donc n’êtes-vous pas en train ?

— Cela, je vous demanderai la permission de ne pas vous le dire !

— Avez-vous donc oublié que vous nous avez déclaré, l’autre soir, qu’il fallait toujours dire la vérité, et que vous en avez même profité pour nous dire à tous des