Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
RÉSURRECTION

courant des moindres bruits de la prison. — Pour sûr, il se sauvera de nouveau !

— Il se sauvera peut-être ! mais, pour sûr, il ne nous prendra pas avec lui ! — dit la Korableva. — Écoute, poursuivit-elle en se retournant vers la Maslova, raconte-nous plutôt ce que t’a dit ton avocat au sujet de ton pourvoi. C’est maintenant qu’il faut que tu le signes !

La Maslova répondit qu’elle n’en avait point entendu parler au Palais de Justice. À ce moment la femme rousse, plongeant dans son épaisse toison ses bras tout couverts de taches de rousseur, et se grattant la tête de toute la force de ses ongles, s’approcha des trois femmes qui continuaient à siroter leur eau-de-vie.

— Je vais te dire ce qu’il faut faire, moi, Catherine ! — dit-elle à la Maslova. — Il faut que tu adresses d’abord une supplique aux juges, et puis ensuite au procureur.

— Qu’est-ce que tu viens nous raconter là ? — lui demanda la Korableva d’une voix irritée. — Voyez-vous cette espèce ! Elle a flairé l’eau-de-vie, et la voilà qui vient nous apprendre des choses qu’elle ne sait pas elle-même ! On sait mieux que toi ce qu’il y a à faire ; va-t’en d’ici, on n’a pas besoin de toi !

— On ne te parle pas, à toi ! De quoi te mêles-tu ?

— C’est l’eau-de-vie qui t’a tentée, hein ? Mais elle n’est pas pour ta belle bouche !

— Allons ! verse-lui un verre, — dit la Maslova, toujours prête à distribuer tout ce qu’elle avait.

— Attends un peu ! Tu vas voir ce que je vais lui verser, si elle ne veut pas nous laisser tranquilles !

— Quoi ! quoi ! je n’ai pas peur de toi ! — répondit la femme rousse en s’avançant encore vers la Korableva.

— Voyez-vous ça, cette tripe molle !

— Moi, une tripe molle ! Tu as le front de m’injurier, toi, sale gibier de bagne ! — s’écria la femme rousse

— Allons ! va-t’en, je te dis ! — répondit la Korableva ; et, comme la femme rousse, au contraire, faisait un nouveau pas en avant, elle la frappa du poing sur sa poitrine nue.

La femme rousse, comme si elle n’avait attendu que