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RÉSURRECTION


II


Le jour suivant était un dimanche. À cinq heures du matin, aussitôt qu’eut retenti dans le corridor de la prison le coup de sifflet du garde, la Korableva éveilla sa voisine, qui n’avait pu s’endormir qu’à l’aube.

« Travaux forcés », se dit avec épouvante la Maslova en se frottant les yeux et en aspirant, malgré elle, l’infecte puanteur de la salle. Elle eut envie de se rendormir, pour se réfugier de nouveau dans l’inconscience ; mais l’habitude et la peur avaient chassé le sommeil, de sorte qu’elle se souleva, s’assit sur son lit, les jambes pendantes, et se mit à regarder autour d’elle.

Toutes les femmes étaient déjà éveillées : seuls le petit garçon et la fillette dormaient encore. Leur mère tirait avec précaution son sarrau, sur lequel ils étaient couchés. La femme condamnée pour révolte étendait, devant le poêle, des torchons qui servaient de langes au nouveau-né pendant que celui-ci, sur les bras de Fenitchka, s’agitait, pleurait, poussait des cris que les paroles caressantes de la jeune femme ne parvenaient pas à calmer. La phtisique, le visage tout injecté de sang, et tenant sa poitrine de ses deux mains, toussait sa quinte du matin, et, dans les intervalles de sa toux, exhalait de profonds soupirs pareils à des sanglots. La Rousse restait étendue sur le dos, étalant sur le lit ses grosses jambes nues : elle racontait, d’une voix haute et gaie, un rêve compliqué qu’elle venait d’avoir. La vieille femme, — la bossue, — debout devant l’icône, répétait infatigablement les mêmes paroles, faisait des signes de croix et des salutations. La fille du diacre s’était assise sur son lit et fixait devant elle ses grands yeux, épuisés d’insomnie. La Beauté frisait sur ses doigts ses cheveux noirs graisseux.

De lourds pas d’hommes se firent entendre dans le corridor, la porte s’ouvrit, et deux prisonniers entrèrent,