Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/241

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tier, il avait réclamé sa femme. Le cabaretier lui avait répondu que sa femme n’était pas chez lui, après quoi il lui avait ordonné de sortir. Il n’était pas sorti. Le cabaretier, avec l’aide d’un ouvrier, l’avait battu jusqu’au sang. Le lendemain la grange du cabaretier avait pris feu. On avait accusé Menchov et sa mère. Mais Menchov n’avait pas mis le feu : il était, ce jour-là, chez un ami.

— Et c’est vrai, bien vrai, que tu n’as pas mis le feu ?

— Je n’y ai pas même pensé, Excellence, pas même pensé ! C’est lui, le brigand, bien sûr, qui a mis le feu lui-même ! On a dit qu’il venait de faire assurer sa grange. Et nous, ma mère et moi, voilà qu’on nous a accusés de l’avoir menacé de l’incendie. Et c’est vrai que, ce jour-là, quand je suis allé lui réclamer ma femme, je l’ai injurié et menacé : mon cœur n’y tenait plus. Mais pour mettre le feu, non, je n’ai pas mis le feu ! Je n’étais pas là quand le feu a pris ! C’est lui qui a mis le feu exprès, et qui ensuite nous a accusés !

— C’est bien vrai ?

— Aussi vrai que je parle devant Dieu, Excellence ! Soyez mon père ! — poursuivit-il en s’efforçant de s’agenouiller devant Nekhludov, — ayez pitié de moi, empêchez que je périsse sans motif !

Et de nouveau ses lèvres tremblèrent, et il se mit à pleurer, et, retroussant sa veste, il essuya ses yeux avec la manche de sa chemise sale.

— Vous avez fini ? — demanda le sous-directeur.

— Oui ! — répondit Nekhludov. Puis, se tournant vers Menchov, avant de sortir :

— Allons ! ne te décourage pas, nous ferons tout ce qui sera possible !

Menchov se tenait près de l’entrée, de sorte que le gardien, en refermant la porte, le repoussa à l’intérieur. Mais, jusqu’à ce que la porte fût entièrement fermée, le malheureux s’obstina à regarder par la fente.