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Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/266

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RÉSURRECTION

La chambrée était presque vide. Seules s’y trouvaient la phtisique, la mère allaitant son enfant, la vieille Menchova et la garde-barrière. La fille du diacre avait été, la veille, reconnue folle et transportée à l’infirmerie. Les autres femmes étaient au lavoir.

La vieille dormait, étendue sur son lit ; les enfants jouaient dans le corridor ; on entendait leurs rires et leurs éclats de voix. La garde-barrière, sans s’interrompre de tricoter le bas qu’elle tenait en main, s’avança vers la Maslova.

— Eh ! bien, tu l’as vu ? — demanda-t-elle.

La Maslova ne répondit rien. Assise sur son lit, elle remuait machinalement ses jambes pendantes.

— Allons, allons, ne pleurniche pas ! — reprit la garde-barrière. — L’essentiel est de ne pas se décourager. Eh ! Katiouchka, allons !

La Maslova continuait à ne pas répondre.

— Les autres sont allées au lavoir. On dit que la quantité de linge à laver est énorme, aujourd’hui.

Au même instant on entendit dans le corridor un grand bruit de pas et de voix, et les habitantes de la chambrée se montrèrent sur le seuil, les pieds nus, chacune portant un pain sous le bras.

Fédosia accourut auprès de la Maslova.

— Eh bien ! quoi, quelque chose de mauvais ? — demanda-t-elle, en levant sur son amie ses clairs yeux bleus d’enfant. — Attends, je vais te préparer ton thé !

— Et alors, — dit la Korableva — il a changé d’avis ? Il ne veut plus se marier ?

— Non, il n’a pas changé d’avis ! C’est moi qui ne veux pas ! Je lui ai déclaré que je ne voulais pas !

— En voilà une sotte ! — déclara la Korableva, de sa voix de basse.

— Elle a bien raison ! — dit Fédosia — Quand on ne peut pas vivre ensemble, à quoi bon se marier ?

— Mais toi-même, ton mari ne va-t-il pas au bagne avec toi ? — demanda la garde-barrière.

— Mon mari, c’est autre chose. Nous étions mariés quand on m’a prise, la loi nous unit. Tandis que