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RÉSURRECTION

tions et s’étonna de les trouver fort simples. Or elles étaient simples pour lui, maintenant, parce qu’il avait cessé de penser à ce qui lui arriverait, ou même de s’y intéresser, pour penser seulement à ce qu’il devait faire. Et, chose surprenante, autant il avait eu de peine à décider ce qu’il devait faire pour lui-même, autant il voyait clairement ce qu’il devait faire pour les autres. Il voyait clairement qu’il devait donner ses terres aux paysans, parce que les paysans en avaient besoin, et parce que lui-même n’avait pas le droit de les posséder. Il voyait clairement qu’il devait ne pas abandonner Katucha, mais au contraire l’aider à persévérer dans les dispositions où il l’avait trouvée la dernière fois : car il avait commis envers elle une faute qu’il devait racheter. Quant à ce qui sortirait de tout cela, il l’ignorait ; mais il savait qu’il avait absolument le devoir d’agir ainsi. Et cette conviction profonde le remplissait de joie.

La masse noire, soudain, avait envahi tout le ciel ; aux éclairs de chaleur avaient succédé de vrais éclairs, illuminant la cour et la maison dévastée ; et un fort éclat de tonnerre retentit au-dessus du jardin. Les oiseaux s’étaient tus ; mais, en revanche, les feuilles des arbres avaient commencé à bruire, et un vent frais s’était élevé qui venait agiter les cheveux de Nekhludov. Une goutte, une seconde tambourinèrent sur le fer du toit ; le vent s’arrêta brusquement, un grand silence se fit, et Nekhludov entendit, au-dessus de sa tête, le roulement prolongé d’un nouvel éclat de tonnerre.

Il rentra dans la maison, le cœur toujours joyeux.

« Oui, oui, — songeait-il, — cela est ainsi ! L’utilité de ma vie, le sens profond de cette vie, le but supérieur en vue duquel nous sommes dans ce monde, je ne les comprends pas ni ne puis les comprendre. Pourquoi ont existé mes tantes ? Pourquoi Nicolas Irtenev est-il mort, et moi suis-je en vie ? Pourquoi ai-je rencontré Katucha ? Pourquoi ai-je été fou et aveugle si longtemps ? De tout cela je ne puis rien savoir : comprendre l’œuvre du Maître n’est pas en ma puissance. Mais accomplir sa volonté, telle qu’elle est écrite dans mon cœur, cela est