nouveau, du malheureux duel ou avait succombé le jeune Kamensky. Ce fut là que, pour la première fois, il connut les détails d’une histoire qui faisait alors l’occupation de toute la ville. La chose avait pris naissance dans un restaurant où les officiers mangeaient des huîtres et, suivant leur habitude, buvaient beaucoup. L’un d’eux s’étant permis quelques appréciations blessantes sur le régiment où servait Kamensky, celui-ci l’avait traité de menteur : l’officier ainsi traité l’avait souffleté ; et, le lendemain, le duel avait eu lieu. Kamensky avait reçu une balle dans le ventre ; il était mort deux heures après. Son adversaire et les témoins avaient été arrêtés, et mis en prison pour plusieurs semaines.
Du Sénat, Nekhludov se fit conduire à la commission des grâces, où il espérait voir un haut fonctionnaire, le baron Vorobiev, pour qui son oncle lui avait donné une lettre. Mais le portier lui fit savoir, d’un ton sévère, qu’on ne pouvait voir le baron qu’à de certains jours. Nekhludov laissa la lettre qu’il avait pour lui, et se rendit chez le sénateur Wolff.
Celui-ci venait de finir son déjeuner. Suivant sa coutume, il stimulait sa digestion en fumant des cigares et en marchant de long en large dans son cabinet. Nekhludov le trouva occupé à ces deux exercices. Vladimir Efimovitch Wolff était effectivement un homme « très comme il faut » ; il mettait cette qualité au-dessus de toutes les autres, et rien n’était plus légitime de sa part, car c’est uniquement à cette qualité qu’il devait sa brillante carrière et l’accomplissement de ses ambitions. C’était elle qui lui avait permis de faire un riche mariage, lequel lui avait valu, à son tour, le titre de sénateur, et un emploi de dix-huit mille roubles. Cependant, non content d’être un homme « très comme il faut », il se considérait aussi comme un type de droiture chevaleresque. Mais cette droiture ne consistait pas, suivant lui, à ne pas rançonner en secret les particuliers. Il ne croyait nullement déroger à sa droiture en recevant, et en sollicitant au besoin, toute sorte de cadeaux, de commissions et de pots-de-vin. Il ne croyait pas non plus