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RÉSURRECTION

de le suivre, se mit à marcher sur le trottoir en vue du convoi. Partout, sur son passage, celui-ci était l’objet d’une attention mêlée de crainte et de sympathie. Des voitures, les têtes se penchaient pour considérer curieusement les déportés. Les passants s’arrêtaient, et regardaient de tous leurs yeux l’effrayant spectacle. Quelques-uns s’approchaient et donnaient des aumônes, que recevaient les gardiens du convoi. D’autres, comme hypnotisés, suivaient les prisonniers aussi loin qu’ils pouvaient.


Nekhludov marchait du même pas rapide dont marchaient les détenus ; et, bien qu’il fût légèrement vêtu, sans cesse la chaleur lui devenait plus pénible. Enfin il n’y tint plus ; après un quart d’heure de marche, il rejoignit sa voiture, y monta et dit au cocher d’aller en avant. Mais, dans la voiture, la chaleur lui parut plus insupportable encore. Il s’efforça de penser à son entretien de la veille avec son beau-frère, mais ce souvenir, qui l’avait tant agité quelques heures auparavant, ne parvenait même plus à l’intéresser. Toute sa pensée restait sous le coup du terrible spectacle auquel il venait d’assister. Et, surtout, il étouffait de chaleur.

Sur une petite place, à l’ombre des arbres, il vit deux collégiens debout auprès d’un marchand de glaces ambulant : l’un d’eux, ayant déjà vidé son verre, léchait avidement la petite cuiller de corne ; l’autre épiait les mouvements du marchand, occupé à remplir de glace jaune le verre qu’il tenait en main.

— Savez-vous où l’on pourrait boire quelque chose, près d’ici ? — demanda Nekhludov au cocher, se sentant pris soudain d’une soif cruelle.

— À deux pas, il y a un café, un beau café ! — répondit le cocher ; et, tournant le coin d’une rue, il conduisit Nekhludov devant une maison ornée d’une grande enseigne.

Le patron du café, debout près du comptoir, en manches de chemise, et deux garçons vêtus de blouses sales, après avoir examiné avec curiosité ce client inconnu,