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RÉSURRECTION

poissons, des pâtés, des tranches de bœuf, des œufs, du lait ; l’une d’elles avait même apporté un petit porc rôti.

Simonson, vêtu d’une veste de caoutchouc et chaussé de galoches, — car il était végétarien et n’admettait point qu’on pût utiliser ni la chair ni le cuir des animaux, — était dans la cour de l’étape, lui aussi, attendant l’ordre du départ. Debout près de la porte de sortie, il inscrivait sur son calepin une réflexion qui lui était venue. Voici cette réflexion :

« Si un microbe pouvait observer et étudier un ongle humain, il en tirerait la conclusion que cet ongle fait partie d’un ensemble inorganique. Et de même nous raisonnons quand, après avoir étudié l’écorce extérieure du globe, nous affirmons que la terre est un être inorganique. »

La Maslova s’occupait à caser dans son sac les œufs, le hareng et le petit pain qu’elle venait d’acheter, et Marie Pavlovna s’occupait à en régler le paiement avec la marchande, lorsqu’un mouvement soudain se produisit dans la cour. Les gardiens venaient de se ranger près de l’officier, et l’on allait procéder aux formalités qui, tous les matins, précédaient le départ.

Suivant l’usage quotidien, les prisonniers furent comptés ; on examina l’état de leurs chaînes, on mit les menottes à ceux qui devaient marcher deux par deux. Mais, tout à coup, rompant la monotonie habituelle de ces formalités, un cri de colère se fit entendre, poussé par l’officier, et aussitôt suivi des pleurs d’un enfant. Puis, dans toute la cour, un profond silence ; et, des l’instant suivant, un murmure confus se répandait à travers la foule. La Maslova et Marie Pavlovna coururent s’informer de ce qui se passait.