— Qu’est-ce que c’est ? — dit le directeur sur un ton de menace.
— Je connais cet homme ! — intervint Nekhludov. C’est un original. Pourquoi est-il en prison ?
— Hé ! c’est la police qui vient de nous l’envoyer pour vagabondage ! Nous la supplions de ne plus envoyer personne, mais c’est comme si on chantait ! — fit le directeur.
— Et toi aussi, à ce que je vois, tu appartiens à l’armée de l’Antéchrist ! — dit le petit vieux, s’adressant à Nekhludov.
— Non, je ne suis ici qu’en visiteur ! — répondit Nekhludov.
— Ah ! ah ! Tu es venu voir comment l’Antéchrist torture les hommes ? Eh bien, regarde, vois ! Il les a pris, il les a enfermés en cage, de quoi composer toute une armée ! Le devoir des hommes est de gagner leur pain à la sueur de leur front : et lui, l’Antéchrist, il les tient enfermés, il les nourrit sans travail, comme des porcs, pour en faire des porcs !
— Que dit-il ? — demanda l’Anglais.
Nekhludov lui répondit que le vieillard accusait le directeur et ses pareils de tenir enfermés des êtres humains contre toute justice.
— Demandez-lui donc comment, à son avis, on doit se comporter avec ceux qui n’observent pas la loi ! — dit en souriant l’Anglais.
Nekhludov traduisit la question.
Le vieillard se mit à rire, découvrant quelques dents, noires et cassées.
— La loi ! — s’écria-t-il avec mépris, — ah ! oui, tu peux en parler ! Il a commencé par s’emparer de la terre, il a dépouillé les hommes de toutes leurs richesses, il a supprimé tous ceux qui lui résistaient ; et ensuite il a écrit la loi, pour dire qu’on ne devait ni tuer ni voler ! Je te certifie bien qu’il ne l’aurait pas écrite avant, sa loi !
Quand Nekhludov lui eut traduit cette réponse imprévue, l’Anglais sourit de nouveau.