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Page:Tolstoï - Religion et morale.djvu/18

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développement de la civilisation, et cela parce que le fait que l’homme se sent être une créature limitée au centre d’un univers infini, qu’il a conscience de son état de péché, — c’est-à-dire du non-accomplissement de tout ce qu’il aurait pu et dû faire — s’est toujours produit et se reproduira toujours tant que l’homme sera homme.

En effet, tout homme, dès l’instant où il sort de l’état animal qui est le sien pendant l’enfance et la première jeunesse (époque pendant laquelle il n’est guidé que par les exigences de sa nature animale), tout homme qui a pris conscience de sa raison, ne peut pas ne pas remarquer ceci : alors qu’autour de lui tout vit, dans un renouvellement qui n’implique pas la mort, dans la soumission forcée à une loi éternelle, unique et précise, lui seul, lui qui se sent un être à part au milieu du reste de l’univers, est condamné à mourir, à disparaître dans l’infini de l’espace et dans l’infini du temps, à sentir la torture de la responsabilité de ses actes ; c’est-à-dire que, seul, il est condamné à avoir conscience, après avoir mal agi, qu’il aurait pu mieux agir.

Et une fois cela compris, tout homme intelligent ne peut pas ne pas réfléchir et se demander : quelle est la raison d’être de cette créature passagère, indéterminée, hésitante, au milieu de cet univers éternel, infini, constituant un tout bien déterminé ?