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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/11

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Sur la seconde paroi de la classe étaient accrochées des cartes de géographie, presque toutes déchirées, mais adroitement recollées par Karl Ivanovitch. Sur la troisième paroi, celle où se trouvait la porte, étaient pendues d’un côté deux règles : l’une toute pleine d’entailles, c’était la nôtre ; l’autre toute neuve, la sienne, qui servait moins à tracer des lignes qu’à nous stimuler. De l’autre côté de la porte, il y avait un tableau noir sur lequel nos grosses fautes étaient marquées par des ronds, les petites par des croix. À gauche du tableau, le coin où l’on nous mettait en pénitence, à genoux.

Comme je m’en souviens, de ce coin ! Je me rappelle la porte du poêle, et la petite porte qui était dans la porte, et le bruit qu’elle faisait quand on y touchait. Parfois j’étais dans le coin depuis si longtemps, que le dos et les genoux me faisaient mal. Je me disais : « Karl Ivanovitch m’a oublié. Il est tranquillement assis dans un bon fauteuil, il lit son hydrostatique…. Et moi ? » Alors, pour le faire penser à moi, j’ouvrais et refermais tout doucement la petite porte du poêle, ou bien je faisais tomber des plâtras de la muraille. Si par hasard le morceau était trop gros et faisait beaucoup de bruit en tombant, ma peur était pire que toute la pénitence. Je regardais bien vite du côté de Karl Ivanovitch : il ne bougeait pas ; il tenait son livre et avait l’air de ne s’être aperçu de rien.

Au milieu de la chambre était une table recouverte d’une toile cirée noire, dont les trous laissaient apercevoir des bords pleins de coups de canif. Autour de la table, quelques escabeaux de bois non peints, polis par un long usage. La quatrième paroi était occupée par trois fenêtres. Voici la vue qu’on avait de ces fenêtres. Droit au-dessous, une route dont je connaissais chaque ornière et dont j’aimais chaque caillou. De l’autre côté du chemin, l’allée de tilleuls taillés et sa palissade ; puis la prairie, bordée d’un côté par l’enclos aux meules, de l’autre par le bois ; dans le lointain, la petite maison du garde. Par la fenêtre