me lançai à débiter tout ce qui me passait par la tête. Le maître époussetait la table, sans rien dire, avec la plume qu’il m’avait ôtée et regardait obstinément à côté de moi, en répétant de temps en temps : « Bien, très bien ! » Je sentais que je ne savais rien, que je pataugeais, et il m’était horriblement pénible que le maître ne m’arrêtât ni ne me reprît.
« Pourquoi, dit-il enfin en répétant ma phrase, a-t-il eu l’idée d’aller à Jérusalem ?
— Parce que… c’est que… il voulait… »
Je m’embrouillai tout à fait et restai muet. Je sentais que ce méchant maître pourrait bien me regarder comme ça pendant un an : je ne serais pas capable d’ajouter une syllabe. Il attendit trois minutes, puis sa figure prit subitement l’expression d’une profonde tristesse et il dit d’un ton affligé à Volodia, qui rentrait au même moment : « Donnez-moi le cahier de notes. »
Volodia lui donna le cahier de notes et posa soigneusement le cachet à côté.
Le maître ouvrit le cahier, trempa sa plume avec précaution, et, de sa belle écriture, il mit un 5 à Volodia dans la colonne des progrès et dans celle de la conduite. Ensuite, tenant sa plume en l’air au-dessus des colonnes où étaient mes notes, il me regarda et réfléchit.
Tout à coup sa main fit un mouvement imperceptible et un 1 superbe, suivi d’un point, apparut dans la colonne des progrès. Un second mouvement, et un autre 1, avec un point, dans la colonne de la conduite.
Le maître referma avec précaution le cahier de notes, se leva et se dirigea vers la porte sans avoir l’air de remarquer mon regard suppliant, désespéré, chargé de reproches.
« Michel Larionitch ! dis-je.
— Non, répondit-il, devinant ce que j’allais lui dire. Ça ne peut pas aller comme ça. Je ne veux pas voler mon argent. »