ne peux pas le supporter, je ne suis plus tout petit ; je ne peux pas, j’en mourrai, je me tuerai. Il a dit à grand’mère que j’étais un vaurien, elle en est malade ; je l’aurai fait mourir, je…, il…, au nom de Dieu, bats-le…, pour… quoi… me tour… mente… »
J’étouffais. Incapable de dire un mot de plus, je m’assis sur le divan, je laissai tomber ma tête sur les genoux de papa et sanglotai de telle sorte qu’il me semblait que j’allais expirer sur la place.
« À qui en as-tu ? dit papa d’un ton de compassion en se penchant sur moi.
— Il est mon tyran…, mon bourreau… ; j’en mourrai… ; personne ne m’aime ! »
Je prononçai ces mots a grand’peine et je fus pris de convulsions.
Papa me prit dans ses bras et me porta dans ma chambre à coucher. Je m’endormis.
Quand je m’éveillai, il était déjà tard. Une seule bougie brûlait à côté de mon lit ; notre médecin, Mimi et Lioubotchka étaient assis dans la chambre. On lisait sur leurs figures qu’ils étaient inquiets de ma santé. Je me sentais si bien, après un somme de douze heures, que j’aurais à l’instant sauté hors de mon lit s’il ne m’avait été désagréable de les troubler dans l’idée que j’étais très malade.
Je ne fus pas puni. Personne ne fit même allusion à ce qui s’était passé. Mais je ne pouvais pas oublier tout ce que j’avais ressenti pendant ces deux jours de désespoir, de honte, de terreur et de haine. Car c’était réellement un sentiment de haine, non pas de cette haine dont on parle dans les romans et à laquelle je ne crois pas, la haine qui trouve une jouissance à faire du mal à quelqu’un ; non, c’était la haine qui vous inspire une aversion invincible pour un homme, estimable du reste, qui vous fait prendre en horreur ses cheveux, son port de tête, le son de sa voix, toute sa personne, tous ses mouvements, et qui en même temps vous attire à lui par une force mystérieuse