Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/286

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Je me représente les doigts de Iacov frétillant négativement derrière son dos et je l’entends démontrer que le bon droit était de notre côté.

Mais papa donna l’ordre d’atteler, mit son habit olive à la dernière mode, peigna en arrière son reste de cheveux, versa de l’eau de senteur sur son mouchoir et partit pour aller chez ses voisins, ravi de l’idée qu’il agissait en grand seigneur et encore plus ravi de l’espoir de voir une jolie femme.

J’ai su seulement que, le jour de sa première visite, papa ne trouva pas le fils, qui était dans les champs, et resta seul une bonne heure avec les dames. Je me le représente se répandant en amabilités, tapotant du pied avec ses souliers plats, sifflotant en parlant, faisant ses petits yeux tendres et ensorcelant la mère et la fille. Je me représente aussi la gaie petite vieille se prenant tout de suite de passion pour lui, et sa belle statue de fille s’animant.

Comme j’ai souvent vu papa, depuis cette époque, avec les Épiphane, cette entrevue est pour moi comme si j’y avais assisté.

Lioubotchka me raconta qu’avant que nous fussions arrivés, Volodia et moi, papa ne passait pas un jour sans voir les Épiphane et était extraordinairement en train. Avec son talent pour faire les choses d’une manière à lui, tournant tout en plaisanterie et sachant néanmoins rester naturel et élégant, papa inventait tantôt une partie de chasse, tantôt une partie de pêche, tantôt un feu d’artifice, et toujours les Épiphane en étaient. « C’aurait été encore bien plus amusant, disait Lioubotchka, sans cet insupportable Pierre Vassilevitch, qui soufflait, bégayait et dérangeait tout. »

Depuis notre arrivée, les Épiphane n’étaient venus que deux fois chez nous et nous étions allés une seule fois, tous ensemble, chez eux. À partir de la Saint-Pierre, qui était la fête de papa et où ils vinrent à la maison ainsi qu’une foule d’autres personnes, les relations cessèrent