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devant papa d’une femme jeune et jolie. Les fréquents changements d’humeur d’Eudoxie Vassilevna, ses brusques passages de la mélancolie à la gaieté forcée, l’habitude de se servir des expressions favorites de papa lorsqu’elle continuait avec d’autres une conversation commencée avec lui : tout cela, s’il ne s’était pas agi de mon père et si j’avais été plus âgé, m’aurait éclairé sur les sentiments qui existaient entre eux. Mais je n’eus aucun soupçon, pas même lorsque je vis papa recevoir une lettre de Pierre Vassilevitch, en être bouleversé et cesser d’aller chez les voisins.

À la fin d’août, papa recommença ses visites, et, la veille du jour où je devais partir pour Moscou avec Volodia, il nous annonça son mariage avec Eudoxie Vassilevna Épiphane.


LXXIV

COMMENT NOUS ACCUEILLÎMES CETTE NOUVELLE


La veille de cette communication officielle, toute la maison savait déjà la nouvelle et chacun la commentait à sa façon. Mimi ne sortit pas de sa chambre et pleura toute la journée. Catherine resta enfermée avec elle et ne se montra qu’au dîner, où elle parut avec un certain air offensé qu’elle avait évidemment emprunté à sa mère. Lioubotchka paraissait enchantée, et elle déclara à table qu’elle savait un beau secret, qu’elle ne raconterait à personne.

« Il n’y a rien du tout de beau dans ton secret, lui dit Volodia, qui ne partageait pas sa satisfaction. Si tu étais capable d’avoir une idée sérieuse, tu comprendrais que c’est, au contraire, très malheureux. »

Lioubotchka, étonnée, le regarda fixement et se tut.

Après le dîner, Volodia fit le geste de me prendre le