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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/36

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heurta une chaise cassée qui se trouvait là. Gricha leva la tête, regarda autour de lui et envoya des signes de croix à tous les coins de la chambre en récitant une prière. Nous nous enfuîmes bruyamment et en chuchotant.


IX

NATHALIE SAVICHNA


Vers le milieu du siècle dernier, on voyait courir dans le village de Khabarovka une fillette grossièrement vêtue, nu-pieds, mais fraîche et gaie. C’était la grosse Natachka, la fille de Savva, le joueur de clarinette. Pour récompenser les services de Savva, et sur sa prière, mon grand-père prit Natachka chez lui, et elle devint une des femmes de ma grand’mère. Elle se distingua par sa douceur et son zèle, et, à la naissance de ma mère, on choisit Natachka pour être sa bonne. Elle montra dans ces nouvelles fonctions une activité et un dévouement à sa jeune maîtresse qui lui valurent encore des éloges et des récompenses. Cependant, les cheveux poudrés, les culottes courtes et les souliers à boucles de l’officier de bouche Phoca, alors jeune et pimpant, avaient fait impression sur le cœur simple mais aimant de Natachka. Leur service à tous deux les mettait en rapports continuels. Natachka fut subjuguée et prit d’elle-même la résolution d’aller demander à mon grand-père la permission d’épouser Phoca. Mon grand-père se fâcha, la traita d’ingrate et la renvoya en pénitence à la basse-cour, dans un hameau de la steppe. Au bout de six mois, comme elle était impossible à remplacer, on la fit revenir et on la reprit à la maison. Elle arriva d’exil dans son costume de basse-cour, alla se présenter à mon grand-père, se jeta à ses pieds et le pria de lui pardonner, de lui rendre sa bienveillance et d’oublier