Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle met son autre main dans mon cou et me chatouille avec ses doigts effilés. Le salon silencieux est dans une demi-obscurité ; mes nerfs sont excités par le chatouillement et par le réveil ; maman est assise tout contre moi ; elle me touche ; je sens son parfum et j’entends sa voix : je me lève d’un bond, je jette mes bras autour de son cou, je me serre contre sa poitrine en murmurant : « Ô maman, chère petite maman, comme je t’aime ! »

Elle sourit de son sourire triste et charmant, prend ma tête à deux mains, m’embrasse sur le front et me met sur ses genoux.

« Tu m’aimes bien ? » Elle se tait un instant, puis elle reprend : « Vois-tu, aime-moi toujours ; ne m’oublie jamais. Si tu n’avais plus ta maman, tu ne l’oublierais pas ? Dis, mon petit Nicolas ? »

Elle me baise encore plus tendrement. Je m’écrie : « Oh ! ne dis pas cela, maman chérie, ma petite âme ! »

Je baise ses genoux et des ruisseaux de larmes coulent de mes yeux dans un transport d’amour.

Lorsque, après cette scène, je monte me coucher et que je m’agenouille devant les saintes images, enveloppé dans ma robe de chambre ouatée, quel sentiment étrange j’éprouve en disant : « Mon Dieu, veille sur papa et sur maman ! » Tandis que je récite les prières que mes lèvres d’enfant ont apprises en les répétant après ma chère maman, mon amour pour elle et mon amour pour Dieu se fondent en un seul et même sentiment.

Après ma prière, je vais me rouler dans mes petites couvertures, l’âme en paix et le cœur léger. Les images se chassent les unes les autres dans ma tête : que représentent-elles ? Elles sont insaisissables, mais pleines de pur amour et de lumineuses espérances de bonheur. Je pense à Karl Ivanovitch et à son sort amer. C’est le seul homme malheureux que je connaisse, et il me fait si grand’pitié, je me sens pris pour lui d’une telle tendresse, que les larmes coulent de mes yeux et que je me dis :