Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/49

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le regardait faire. C’était le premier dessin à la mine de plomb de Volodia, et il devait être offert aujourd’hui même à grand’mère, dont c’était la fête.

« Vous ne mettez pas encore un peu d’ombre là ? demanda Volodia en se dressant sur la pointe des pieds et en désignant le cou du Turc.

— Non, c’est inutile, répondit le maître en serrant les crayons dans une boîte à coulisses. C’est très bien comme ça, n’y touchez plus. Et vous, petit Nicolas, continua-t-il en se levant et en regardant le Turc de côté, nous direz-vous enfin votre secret ? qu’est-ce que vous offrez à votre grand’mère ? Une tête aurait aussi été ce qu’il y avait de mieux. Bonsoir, messieurs. »

Il prit son chapeau, son cachet et sortit.

À ce moment-là, je pensais aussi qu’une tête aurait mieux valu que ce que je m’acharnais à faire. Quand on nous avait annoncé que la fête de grand’mère approchait et qu’il fallait préparer nos cadeaux, il m’était venu à l’idée de lui faire des vers. J’en avais tout de suite trouvé deux, qui rimaient, et je croyais que les autres viendraient avec la même facilité. Je ne peux pas me rappeler comment une idée aussi biscornue pour un enfant m’était entrée dans la tête, mais je me rappelle que j’en étais enchanté, et qu’à toutes les questions je répondais que j’apporterais certainement un cadeau à grand’mère, mais que je ne voulais pas dire ce que c’était.

Contre mon attente, il me fut impossible de trouver la suite. J’avais beau m’acharner, j’en étais toujours aux deux vers composés dans un moment d’inspiration. Je me mis à lire des poésies dans nos livres de classe, mais ni Dmitrief ni Derjavine ne me furent d’aucun secours ; au contraire, ils me firent sentir encore plus vivement mon incapacité. Je savais que Karl Ivanovitch aimait à rimer. J’allai tout doucement fouiller dans ses papiers et j’y trouvai, parmi diverses poésies allemandes, une pièce russe qui m’eut bien l’air d’être de lui.