Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/51

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en faisant des gestes. Mes vers étaient tous faux. Je ne m’arrêtais pas pour si peu, mais le dernier m’était de plus en plus désagréable. Je m’assis sur mon lit et me mis à réfléchir.

« Pourquoi ai-je mis : comme notre propre mère ? Maman n’y est pas ; il était inutile de faire penser à elle. Certainement, j’aime ma grand’mère, j’ai du respect pour elle, mais ce n’est pas du tout la même chose….. Pourquoi ai-je mis ça ? pourquoi mentir ? Il est vrai que ce sont des vers, mais c’était tout de même inutile. »

À cet instant, le tailleur entra. Il nous apportait des vestes neuves.

« Tant pis ! » m’écriai-je avec dépit en cachant les vers sous mon oreiller, et je courus essayer les habits du tailleur de Moscou.

Les habits de Moscou étaient superbes. Nos vestes couleur de cannelle, avec des boutons de bronze, prenaient parfaitement la taille — ça ne ressemblait pas à ce qu’on nous faisait à la campagne ; — nos pantalons noirs, également collants, dessinaient les formes et tombaient admirablement sur les bottes.

« Enfin, pensai-je, j’ai des pantalons à sous-pieds, — des vrais ! » J’étais transporté de joie et je regardais mes jambes dans tous les sens. La vérité est que mon costume collant me gênait et que j’étais très mal à mon aise ; mais je me gardai de l’avouer. Je déclarai au contraire que je me sentais tout à fait à l’aise et que, si mes habits avaient un défaut, c’était d’être un peu trop larges. Je passai ensuite un temps considérable devant mon miroir à me coiffer. J’avais mis beaucoup de pommade, néanmoins j’eus beau faire, jamais je ne pus obtenir que mes cheveux restassent lisses sur le haut de la tête. Dès que je cessais de les maintenir avec la brosse, ils se redressaient et se tortillaient dans tous les sens, me donnant une expression souverainement ridicule.

Karl Ivanovitch s’habillait dans l’autre chambre, et on lui