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XV

ARRIVÉE DES INVITÉS


On attendait beaucoup de monde pour le soir. Il était aisé de le deviner à l’agitation qui régnait à l’office et au brillant éclairage qui donnait une physionomie nouvelle et un air de fête aux objets familiers du salon et de la grande salle. D’ailleurs le prince Ivan Ivanovitch avait envoyé sa musique, et il était clair que ce n’était pas pour rien.

Chaque fois que j’entendais une voiture, je me précipitais à la fenêtre, je plaçais mes mains, en abat-jour, sur mes deux tempes, et je regardais dans la rue, le nez collé aux vitres, avec curiosité et impatience. Au premier moment, tout paraissait noir. Peu à peu notre vieille connaissance, la petite boutique d’en face, émergeait de l’obscurité avec sa lanterne. C’était ensuite le tour de la grande maison à côté, avec ses deux fenêtres du bas éclairées. Enfin, du milieu de la rue se profilait quelque misérable traîneau de louage, ou un cocher rentrant chez lui à pied.

Une voiture vint enfin se ranger devant le perron. Convaincu que c’étaient les Ivine, qui avaient promis de venir de bonne heure, je courus à leur rencontre jusque dans l’antichambre. Au lieu des Ivine, derrière le bras en livrée qui ouvrait la porte apparurent deux personnes du sexe féminin : l’une, grande, enveloppée dans un manteau bleu à col de zibeline ; l’autre, petite, tout emmitouflée dans un châle vert d’où ne sortaient que deux petits pieds dans de petites bottes fourrées. Je crus de mon devoir de faire un salut, mais la petite personne alla se placer devant la grande sans prêter aucune attention à ma présence et resta immobile. La grande dénoua le mouchoir qui enveloppait la tête de la petite et défit le châle. Quand le laquais eut pris ces objets et ôté les petites