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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/7

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« C’est vrai, pensais-je, que je suis petit ; mais pourquoi me dérange-t-il ? Pourquoi ne va-t-il pas tuer les mouches au-dessus du lit de Volodia ? Il n’en manque pourtant pas ! Mais non, Volodia est plus âgé que moi ; je suis le plus petit de tous ; c’est pour ça qu’il me tourmente. Il passe sa vie, murmurai-je à demi-voix, à chercher ce qu’il pourrait me faire de désagréable. Il voit très bien qu’il m’a réveillé et qu’il m’a fait peur ; mais il fait semblant de ne pas s’en apercevoir… Le vilain homme ! Et sa robe de chambre, et sa calotte, et son gland, est-ce assez laid ! »

Tandis que j’exhalais ainsi en moi-même mon dépit contre Karl Ivanovitch, celui-ci s’approcha de son lit, regarda sa montre, qui était pendue au-dessus du lit dans une petite pantoufle brodée de perles, accrocha le chasse-mouches à un clou et se tourna vers nous d’un air d’excellente humeur.

« Allons, enfants, allons ! Il est temps de se lever. Votre maman est déjà dans le salon, » cria-t-il de sa bonne voix allemande.

Il vint s’asseoir au pied de mon lit et tira sa tabatière de sa poche. Je faisais semblant de dormir. Karl Ivanovitch commença par prendre une prise, puis il s’essuya le nez et secoua ses doigts, et alors seulement il s’occupa de moi. Il se mit à me chatouiller la plante des pieds avec de petits rires :

« Allons, allons, paresseux ! »

J’avais une peur extrême d’être chatouillé. Je ne sortis pourtant pas de mon lit et ne répondis pas. Je cachai ma tête sous mon oreiller, j’envoyai des coups de pied de toutes mes forces et je me tins à quatre pour ne pas rire.

« Comme il est bon et comme il nous aime ! Comment ai-je pu en penser tant de mal ? »

J’en voulais et à moi-même et à Karl Ivanovitch ; j’avais à la fois envie de rire et de pleurer : mes nerfs étaient agacés.

« Laissez-moi donc, Karl Ivanovitch ! » criai-je les yeux