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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/75

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d’un air protecteur, me donna la main, et le jeune homme resta sans danseuse.

J’avais tellement la conscience de ma force, que je ne fis aucune attention au dépit du jeune homme. Je sus ensuite qu’il avait demandé qui était ce petit garçon ébouriffé qui lui avait pris sa danseuse sous son nez.


XVII

LA MAZURKE


Le jeune homme à qui j’avais pris sa danseuse était du premier couple de la mazurke. Il s’élança de sa place, tenant sa danseuse par la main, et, au lieu d’exécuter le « pas de Basques », comme Mimi nous l’avait enseigné, il se contenta de courir en avant. Parvenu à l’angle opposé de la salle, il s’arrêta, écarta les pieds, frappa le parquet du talon, se retourna, fit un petit saut et reprit sa course. Je n’avais pas de danseuse pour la mazurke. Je m’étais assis derrière le grand fauteuil de grand’mère et je regardais.

« Qu’est-ce qu’il fait donc ? me disais-je. Ce n’est pas du tout ce que Mimi nous a appris. Elle assurait que tout le monde danse la mazurke sur la pointe des pieds, en glissant et en faisant des ronds de jambe ; mais ce n’est pas du tout ça. Les Ivine, Étienne, ils dansent tous, et personne ne fait le « pas de Basques » ; et Volodia a adopté la nouvelle manière. Ce n’est pas laid !… Comme Sonia est délicieuse ! Ah ! c’est son tour… » J’étais parfaitement heureux.

La mazurke tirait à sa fin. Quelques personnes âgées vinrent prendre congé de grand’mère et s’en allèrent. Les laquais traversaient la salle en évitant les danseurs et portaient avec précaution de quoi mettre le couvert dans les pièces du fond. Grand’mère était visiblement fatiguée,