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Page:Tolstoï - Souvenirs.djvu/83

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« Qu’est-ce que cela te fait ? dit Volodia en retournant de mon côté. — Peut-être.

— Tu n’as pas envie de dormir, tu fais semblant ! » m’écriai-je, remarquant à ses yeux brillants qu’il ne pensait pas du tout à dormir.

Je repoussai le couvre-pieds et je repris : « Parlons plutôt d’elle ! N’est-ce pas qu’elle est délicieuse ?… si délicieuse, que si elle me disait : « Nicolas, saute par la fenêtre », ou : « Jette-toi dans le feu », je te jure que je sauterais tout de suite, et avec joie. Ah ! qu’elle est délicieuse ! » ajoutai-je en me représentant qu’elle était là devant moi et, afin de bien jouir de son image, je me retournai brusquement sur l’autre côté et j’enfonçai ma tête sous l’oreiller.

« J’ai une envie terrible de pleurer, Volodia.

— Nigaud, va ! » dit-il en souriant.

Après un instant de silence, il reprit : « Je ne suis pas du tout comme toi. Si je le pouvais, je voudrais d’abord m’asseoir à côté d’elle et causer…

— Ah ! tu en es donc aussi amoureux ? interrompis-je.

— Ensuite, poursuivit Volodia en souriant tendrement, ensuite je baiserais ses petits doigts, ses petits yeux, ses petites lèvres, son petit nez, ses petits pieds… je la baiserais toute…

— Quelles sottises ! criai-je de dessous mon oreiller.

— Tu ne comprends rien, dit Volodia d’un ton de mépris.

— Pas du tout, je comprends, et c’est toi qui ne comprends pas, et tu dis des bêtises, fis-je à travers mes larmes.

— Il n’y a pas de quoi pleurer, voyons. Quelle fille ! »