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XXI

CE QUI NOUS ATTENDAIT À LA CAMPAGNE


Le 25 avril, nous descendîmes d’une calèche de voyage devant le perron de Petrovskoë. En partant de Moscou, papa paraissait préoccupé. Volodia lui ayant demandé : « Est-ce que maman est malade ? » il le regarda tristement et fit signe de la tête que « oui », sans prononcer un mot. Pendant le voyage, il se tranquillisa ; mais, en approchant de la maison, son visage prit une expression de plus en plus triste, et ce fut les yeux humides et la voix mal assurée qu’en descendant de voiture il demanda à Phoca : « Où est Nathalie Nicolaïevna ? »

Le bon vieux Phoca, qui accourait tout essoufflé, jeta à la dérobée un regard sur nous autres enfants, baissa les yeux, ouvrit la porte du vestibule et répondit en se détournant : « Il y a six jours qu’elle n’est sortie de sa chambre. »

Milka, qui, à ce que j’appris ensuite, n’avait pas cessé de gémir depuis que maman était malade, s’élança joyeusement vers mon père ; il sautait sur lui, poussait de petits cris, lui léchait les mains. Mais mon père l’écarta et traversa le salon, puis le divan, d’où l’on entrait directement dans la chambre à coucher. Plus il approchait de cette chambre, plus son inquiétude se trahissait à tous ses mouvements ; en entrant dans le divan, il s’était mis à marcher sur la pointe des pieds et à retenir son souffle, et il se signa avant de se décider à poser la main sur le bouton de la serrure. Au même moment, Mimi accourait par le corridor, dépeignée et les yeux rouges.

« Ah ! Pierre Alexandrovitch » ! dit-elle à demi-voix avec l’expression d’un désespoir sincère.