Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/107

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sacrifice, une œuvre de dévouement, qui lui avait valu sa récompense. Avant tout, il avait pour Marianna un saint respect et ne se serait jamais permis de lui dire à la légère des paroles d’amour banales.

Un jour, dans le courant de l’été, Olénine était resté à la maison. Il vit tout à coup entrer une de ses connaissances de Moscou, un jeune homme qu’il voyait dans le monde.

« Ah ! mon cher, mon très cher ! que j’ai été heureux d’apprendre que vous étiez ici ! s’écria le jeune homme en français moscovite, mêlant des mots français aux mots russes. On vous dit « Olénine ». Quel Olénine ? j’ai été enchanté !… le sort nous réunit. Eh bien ! comment cela va-t-il ? pourquoi êtes-vous ici ? »

Et le prince Béletsky raconta sa propre histoire : il était pour peu de temps dans ce régiment ; le général en chef voulait l’avoir comme aide de camp ; il irait le rejoindre après la campagne, bien qu’il ne s’en souciât pas.

« M’étant décidé à servir dans ce trou, je veux du moins faire ma carrière, recevoir un grade, une croix,… passer à la garde. C’est indispensable, si ce n’est pour moi, du moins par égard pour mes parents, mes amis. Le prince m’a parfaitement reçu, c’est un homme comme il faut, disait Béletsky, parlant sans s’arrêter. Je recevrai la croix de Sainte-Anne pour l’expédition ; je resterai ici jusqu’à nouvel ordre. C’est charmant ici, et quelles femmes ! Et vous, comment allez-vous ? Notre capitaine, — vous connaissez Startow ? un bon diable, mais bête ! — notre capitaine m’a dit que vous vivez en sauvage, ne voyant personne. Je conçois que vous ne vous rapprochiez pas des officiers, mais je suis heureux au possible de vous voir ; je loge chez l’ouriadnik. Quelle fillette ravissante il a ! Oustinka,… délicieuse ! »

C’était un flux de paroles russes et françaises, un écho du monde qu’Olénine croyait avoir quitté à jamais. On disait généralement de Béletsky que c’était un charmant