Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/110

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aucune envie de quitter le perron, sa chambre lui faisait l’effet d’une prison. La vieille femme avait achevé de chauffer son poêle, la jeune fille avait renvoyé le bétail aux champs et rassemblait le fumier des brebis autour de la haie. Olénine lisait, mais ne comprenait pas un mot du livre qu’il tenait ouvert devant lui. Il quittait sans cesse sa lecture pour suivre des yeux la jeune et vigoureuse fille. Entrait-elle dans l’ombre de la maison, avançait-elle vers le milieu de la cour, éclairée par les rayons joyeux de la lumière matinale, sa taille élancée et ses vêtements de couleur éclatante rayonnaient au soleil et jetaient une ombre noire derrière elle.

Olénine craignait de perdre un seul de ses mouvements. C’était pour lui une vraie jouissance de voir sa taille se courber avec grâce et aisance. Sa chemise rose, son seul vêtement, drapait bien ses épaules ; et, quand elle se redressait, comme cette chemise dessinait bien les contours de son sein et de ses jambes fines ! Son pied étroit, chaussé de souliers rouges usés, se posait à terre sans se déformer ; ses bras énergiques, aux manches relevées, maniaient la pelle avec force, on aurait même dit avec colère ; ses beaux yeux profonds jetaient parfois un regard vers Olénine ; ses sourcils délicats se fronçaient, il est vrai, mais ses yeux exprimaient pourtant le plaisir d’être admirée et la conviction de leur beauté.

« Êtes-vous levé depuis longtemps, Olénine ? dit Béletsky, en uniforme d’officier, entrant dans la cour.

— Ah ! Béletsky ! s’écria Olénine, lui tendant la main. Pourquoi si matinal ?

— Que faire ? on m’a mis à la porte ; on donne un bal dans mes appartements. Marianna ! viens-tu chez Oustinka ? oui ? » dit-il s’adressant à la jeune Cosaque.

Olénine était confondu de ce que Béletsky osât parler sans aucune gêne à cette femme.

Marianna fit semblant de ne pas entendre, baissa la tête, jeta la pelle sur son épaule et rentra.