Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/132

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lourdes grappes perçaient partout sous la feuillée. Les arbas, chargées de raisin noir, grinçaient le long du chemin qui mène aux vergers, et des grappes tombées du chariot traînaient dans la poussière. Des petites filles et des petits garçons tout barbouillés de jus de raisin, des grappes à la main, suivaient leurs mères en courant. On rencontrait sans cesse des ouvriers déguenillés portant sur leurs robustes épaules des corbeilles pleines de raisin. Les filles cosaques, couvertes jusqu’aux yeux de leurs mouchoirs, guidaient les bœufs attelés à de hautes charrettes chargées de fruits. Les soldats qui les rencontraient leur demandaient du raisin, et les jeunes filles, sans arrêter l’attelage, grimpaient sur le chariot et jetaient à pleines mains le raisin, que les soldats recevaient dans le pan de leur redingote. On pressait déjà le raisin dans quelques cours, et l’odeur du jus remplissait l’air. Des boisseaux rouges étaient étalés sous les auvents, et les ouvriers nogaïs, aux jambes nues et aux mollets tatoués, travaillaient dans les cours. Les porcs dévoraient avidement le marc de raisin et s’y roulaient. Les toits plats des garde-manger étaient couverts de superbes grappes vermeilles, qui séchaient au soleil. Les pies et les corneilles picotaient les grains et voltigeaient de place en place.

On récoltait gaiement le fruit du labeur de l’année ! la récolte était très abondante. Des éclats de voix et de rire s’entendaient de toutes parts sous les ombrages des vergers, et dans cette mer de pampres on voyait partout les couleurs éclatantes du costume des femmes.

Marianna était assise dans son jardin, en plein midi, à l’ombre d’un pêcher, et préparait le repas de famille, qu’elle enlevait d’une arba dételée. Le khorounji était vis-à-vis d’elle, assis sur une housse étendue à terre ; il revenait de l’école et se lavait les mains avec l’eau d’une cruche. Son petit frère, accouru tout essoufflé de l’étang, s’essuyait avec ses manches et, dans l’attente du dîner, regardait avec inquiétude sa sœur et sa mère. La vieille Oulita, les