Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/171

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On coucha Lucas sur le chariot ; il ne cessait de jurer.

« Tu mens ! je l’étoufferai de mes mains, tu ne m’échapperas pas ! Anna céni !  » criait-il en s’agitant violemment.

Il tomba en faiblesse et se tut.

Olénine revint à la maison. Le soir, on lui dit que Loukachka était à la mort : un Tatare s’était chargé de le traiter avec des simples.

On avait traîné les cadavres des Abreks dans la direction de la stanitsa ; les femmes et les enfants accouraient de toutes parts pour les voir.

Olénine était rentré au crépuscule. Il était comme égaré ; mais bientôt ses souvenirs revinrent en foule ; il se mit à la fenêtre. Marianna passait de la cabane au garde-manger, occupée des soins du ménage. La mère était à la vigne, le père à la direction. Olénine ne put y tenir : il alla trouver la jeune fille. Elle était dans sa chambre et lui tournait le dos. Olénine crut que c’était par pudeur.

« Marianna ! dit-il, puis-je entrer ? »

Elle se retourna tout à coup. Elle avait les larmes aux yeux, son visage était beau de tristesse ; elle regardait le jeune homme avec hauteur.

« Marianna ! je viens…

— Laissez-moi tranquille ! » interrompit-elle.

Son visage ne changea pas d’expression, mais des flots de larmes coulèrent de ses yeux.

« Qu’as-tu ? Pourquoi pleures-tu ?

— Pourquoi ? s’écria-t-elle d’une voix dure et rude ; on a massacré les Cosaques, et tu demandes pourquoi ?…

— Loukachka… ? dit Olénine.

— Va-t’en ! que te faut-il encore ?

— Marianna !

— Tu n’obtiendras jamais rien de moi !

— Marianna ! ne parle pas ainsi !

— Va-t’en ! indifférent que tu es ! » cria la jeune fille, en