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Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/190

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vous dans cette étroite tranchée que suit en se baissant le fantassin. Vous y verrez peut-être de nouveau des brancards, des matelots, des soldats avec des bêches, des fils conducteurs de mines, des abris de terre également boueux et dans lesquels ne peuvent se glisser en rampant que deux hommes, et où les plastouny[1] des bataillons de la mer Noire vivent, mangent, fument et se chaussent au milieu des débris de fer de fonte, sous toutes les formes, jetés çà et là. Cent pas plus loin, vous atteignez la batterie, une esplanade creusée de fossés, entourée de gabions, recouverte de terre, de remblais et de canons sur des plates-formes. Peut-être trouverez-vous ici quatre ou cinq matelots jouant aux cartes, abrités par le parapet, et un officier de la marine qui, voyant surgir un nouveau visage, un curieux, se fera un vrai plaisir de vous initier aux détails de son emménagement et de vous donner des explications. Cet officier, assis sur un canon, roule avec tant de calme une cigarette en papier jaune, passe si tranquillement d’une embrasure à l’autre et vous parle avec un sang-froid si naturel, que vous recouvrez le vôtre en dépit des balles qui sifflent ici en plus grand nombre. Vous le questionnez, et même vous écoutez ses récits. Le marin vous décrira, si seulement vous le lui demandez, le bombardement du 5, l’état de sa batterie avec un seul canon valide, ses servants réduits à huit, et pourtant le 6 au matin elle faisait feu de toutes pièces. Il vous racontera également comment une bombe pénétra le 5 dans un abri et coucha à terre onze marins ; il vous indiquera, à travers l’embrasure, les tranchées et les batteries ennemies, dont trente à quarante sagènes seulement vous en séparent. Je crains bien pourtant que, en vous penchant en dehors de l’embrasure pour mieux examiner l’ennemi, vous ne voyiez rien, ou si, apercevant quelque chose, vous ne soyez très surpris d’apprendre que ce rempart blanc et rocailleux, à deux pas de

  1. Tireurs.