Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/213

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Et elle suivait des yeux les bombes qui volaient dans l’espace d’un point à un autre, semblables à des balles de feu.

« Quel malheur ! quel malheur ! C’était moins fort au premier bombardement !… Tiens, la voilà qui éclate, la maudite, dans le faubourg, juste au-dessus de notre maison !

— Non, c’est plus loin, c’est toujours dans le jardin de la tante Arina qu’elles tombent, dit la petite fille.

— Où est-il, mon maître, où est-il à présent ? gémit Nikita, encore gris et traînant les mots. Ce que je l’aime, ce maître-là, ce n’est pas à dire ! Si, ce dont Dieu préserve, on commet le péché de le tuer, je vous assure, bonne tante, que je ne réponds pas de ce que je serai capable de faire !… Vrai ! c’est un si bon maître que… il n’y a pas de mot, voyez-vous ! je ne l’échangerais pas contre ceux qui jouent aux cartes là dedans, vrai ! pfou ! conclut Nikita en indiquant la chambre de son capitaine, dans laquelle le junker Yvatchesky avait organisé avec des enseignes une bonne petite orgie pour fêter la croix qu’il venait de recevoir.

— Que d’étoiles ! que d’étoiles qui filent ! s’écria la petite, rompant le silence qui avait suivi le discours de Nikita. Là, là, encore une qui tombe ! Pourquoi cela ? dis, petite mère.

— Ils détruiront notre baraque, fit la vieille en soupirant et sans lui répondre.

— Aujourd’hui, continua d’une voix chantante la petite babillarde, aujourd’hui j’ai vu dans la chambre de l’oncle, près de l’armoire, un énorme boulet ; il a percé le toit et il est tombé droit dans la chambre ; c’est si gros qu’on ne peut pas le soulever.

— Celles qui avaient des maris et de l’argent sont parties, poursuivait la vieille ; moi, je n’ai qu’une baraque et ils la détruisent ! Vois donc ! vois donc ! comme ils tirent, les scélérats !… Seigneur, mon Dieu !

— Et au moment de sortir de chez l’oncle, reprit l’enfant une bombe est arrivée tout droit, elle a éclaté et a