Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rose et d’un bechmet bleu. Elle disparaît sous l’auvent de la basse-cour et on l’entend cajoler d’une voix caressante la bufflonne, qu’elle va traire. « Reste donc en place, ma mignonne ! Allons donc ! » Plus tard la vieille femme et la jeune fille rentrent dans l’izbouchka[1], portant le lait qu’elles viennent de traire. La fumée du cornouiller s’élève bientôt au-dessus de la cheminée en terre glaise, le lait va être caillé ; la jeune fille entretient le feu pendant que la vieille retourne sur le seuil de la porte. La nuit est tombée ; on sent dans l’air l’odeur des légumes, du bétail et le parfum odorant du cornouiller. Les filles cosaques traversent la rue en courant, tenant dans leurs mains des chiffons allumés. Partout le mugissement du bétail dans les cours se mêle aux voix des femmes et des enfants. Rarement une voix masculine se fait entendre pendant la semaine.

Une grande et robuste femme, sur le retour, traverse la rue et vient demander du feu à Oulita.

« Eh bien ! babouchka[2], avez-vous déjà achevé la besogne ? demande-t-elle.

— La fille chauffe le poêle, répond Oulita ; qu’y a-t-il à ton service ? te faut-il du feu ? »

Les femmes entrent dans la cabane ; les mains dures et calleuses d’Oulita, peu habituées à manier de menus objets, ouvrent gauchement une boîte d’allumettes, luxe rare chez les Cosaques. La nouvelle venue s’assied sur le seuil avec l’intention évidente de causer.

« Ton maître est-il à l’école ? dit-elle.

— Oui, la mère, toujours avec ses écoliers, mais il vient de nous écrire qu’il passera les fêtes à la maison.

— Quel homme instruit que ton mari !

— Oui, certes !

— Quant à mon Loukachka, il est au cordon, on ne lui permet pas de rentrer. »

  1. Petite cabane.
  2. Terme familier pour grand’mère.