Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/226

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étrange, inquiétant, c’était de se trouver en plein champ, hors des fortifications.

Le commandant du bataillon prononça de nouveau quelques paroles, qui furent de nouveau répétées tout bas par les officiers, et tout à coup la muraille noire formée par la première compagnie s’affaissa ; on avait reçu l’ordre de se coucher par terre. La seconde compagnie fit de même, et Pesth, en se couchant, se piqua la main à quelque chose de pointu. Seule la petite silhouette du capitaine de la seconde compagnie, restée debout, brandissait une épée nue sans cesser de parler, de se mouvoir devant les soldats.

« Enfants, attention ! Montrez-vous, mes braves ! pas de coups de fusil, abordons ces canailles à la baïonnette ! Quand je crierai : Hourra ! qu’on me suive… de près et tous ensemble… Nous leur ferons voir ce que nous pouvons faire… Nous ne nous couvrirons pas de honte, n’est-ce pas, enfants ? Pour le tsar notre père !

— Comment s’appelle le chef de compagnie ? demanda Pesth à un junker, son voisin ; en voilà un brave !

— Oui, au feu il est toujours ainsi ; il s’appelle Lissinkowsky. »

Juste à ce moment jaillit une flamme, suivie d’une détonation assourdissante ; des éclats et des pierres volèrent en l’air ; une cinquantaine de secondes plus tard, une de ces pierres retomba de très haut et broya le pied à un soldat. Une bombe s’était abattue au milieu de la compagnie, ce qui prouvait que les Français avaient remarqué la colonne.

« Ah ! tu nous lances des bombes, à présent !… Laisse-nous seulement arriver jusqu’à toi, tu goûteras de la baïonnette russe, maudit !… »

Le capitaine criait si haut que le commandant du bataillon lui ordonna de se taire.

La première compagnie se leva ; après elle, la seconde ; les soldats reprirent leurs fusils, et le bataillon avança.