Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/234

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au pied de la montagne et presque en dehors de l’atteinte des balles lorsque Mikhaïlof le rejoignit. Quelques bombes perdues arrivaient encore.

« Il faudra que j’aille demain me faire inscrire à l’ambulance », se dit le capitaine, tandis que l’aide-chirurgien rebandait sa plaie.


XIII


Des centaines de corps mutilés, fraîchement ensanglantés, qui, deux heures avant, étaient pleins d’espérances et de volontés diverses, sublimes où mesquines, gisaient, les membres raidis, dans la vallée fleurie et baignée de rosée qui sépare le bastion de la tranchée, ou sur le sol uni de la petite chapelle des morts dans Sébastopol ; les lèvres desséchées de tous ces hommes murmuraient des prières, des malédictions ou des gémissements ; ils rampaient et se retournaient sur le flanc, les uns abandonnés parmi les cadavres de la vallée en fleur, les autres sur les brancards, les lits et le plancher humide de l’ambulance ; malgré cela, tout comme aux jours précédents, le ciel s’embrasait de lueurs d’aurore au-dessus du mont Sapoun, les étoiles scintillantes pâlissaient, un brouillard blanchâtre se levait sur la houle sombre et plaintive de la mer, l’aube empourprait l’orient, de longs nuages de flamme couraient sur l’horizon d’azur ; comme aux jours précédents, le grand flambeau montait lentement, puissant et superbe, promettant au monde ranimé la joie, l’amour et le bonheur.


XIV


Le lendemain soir, la musique du régiment des chasseurs jouait de nouveau sur le boulevard ; autour du pa-