Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/249

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domestique qui transporte des bagages ? » criait l’un des deux militaires, qui tenait un verre de thé à la main.

Bien qu’il évitât soigneusement l’emploi des pronoms, on pouvait aisément deviner qu’il aurait volontiers tutoyé son interlocuteur.

« Comprenez bien, monsieur le maître de poste, dit avec hésitation l’autre officier, que nous ne voyageons pas pour notre plaisir ; si l’on nous a fait demander, c’est que nous sommes nécessaires ! Vous pouvez être sûr que je le dirai au général,… car vraiment… il semblerait que vous n’avez aucun respect pour le rang d’officier.

— Vous me gâtez chaque fois la besogne et vous me gênez, repartit son camarade avec humeur ; que lui parlez-vous de respect ? Il faut lui parler autrement… Des chevaux ! cria-t-il soudain, des chevaux à l’instant !…

— Je n’aurais pas mieux demandé que de vous en donner, mais où les prendre ?… Je le comprends très bien, batiouchka, reprit le maître de poste après un moment de silence et s’échauffant par degrés en gesticulant,… mais que voulez-vous que j’y fasse ? Laissez-moi seulement — la figure des officiers exprima aussitôt l’espoir — vivoter jusqu’à la fin du mois, et puis on ne me verra plus… J’aime mieux aller au Malakoff que de rester ici, vrai Dieu ! Faites ce qu’il vous plaira,… mais je n’ai pas une seule britchka en bon état, et depuis trois jours les chevaux n’ont pas vu une poignée de foin !… »

Sur ces mots, il s’éclipsa. Koseltzoff et les deux officiers entrèrent dans la maison.

« Eh bien ! dit l’ancien au plus jeune, d’un ton calme qui contrastait vivement avec sa colère de tout à l’heure. Voilà trois mois que nous sommes en route ; attendons, ce n’est pas un malheur, rien ne presse ! »

Koseltzoff trouva avec peine dans la chambre de la maison de poste, enfumée, malpropre, remplie d’officiers et de malles, un coin libre près de la fenêtre. Il s’y assit et se prit, tout en roulant une cigarette, à examiner les