— Et si vous êtes obligés de retourner ? lui demanda ce dernier.
— C’est justement ce que nous craignons ; car, après avoir acheté le cheval et ce qui nous était indispensable, cette cafetière, par exemple, et quelques autres bagatelles, nous sommes restés sans le sou, dit-il d’un ton plus bas, en jetant sur son compagnon un regard à la dérobée, de sorte que je ne vois pas comment nous nous en tirerons.
— Vous n’avez donc pas reçu l’argent de route ? lui demanda Koseltzoff.
— Non, murmura le jeune homme, mais on a promis de nous le donner ici.
— Avez-vous le certificat ?
— Je sais bien que le certificat est la chose principale ; un oncle à moi, sénateur à Moscou, aurait pu me le donner, mais il m’a assuré que je le recevrais ici sans faute. On me le délivrera, n’est-ce pas ?
— Sans aucun doute !
— Je le crois aussi », répliqua le jeune officier d’un ton qui prouvait que, à force d’avoir répété cette même question à trente endroits différents et avoir reçu les réponses les plus diverses, il ne croyait plus personne.
V
« Qui a demandé du borchtch[1] ? » cria en ce moment la maîtresse du logis, une grosse dondon de quarante ans environ, assez malproprement vêtue ; elle portait une grande terrine.
Il se fit un silence, et tous les yeux se tournèrent vers la femme ; un des officiers cligna même de l’œil en échan-
- ↑ Soupe polonaise et petite-russienne faite au jus de betteraves avec de la viande et des légumes.