Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/256

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de son frère, mais plus ouverts et plus limpides, s’étendait souvent un voile humide. Un fin duvet blond commençait à se dessiner sur ses joues et au-dessus de ses lèvres, d’un rouge pourpre, qui se plissaient souvent en un timide sourire, laissant apercevoir des dents d’une éclatante blancheur. Tel qu’il était là dans sa capote déboutonnée, sous laquelle passait une chemise rouge à col russe, élancé, large d’épaules, une cigarette entre les doigts, appuyé contre la balustrade du perron, la figure illuminée par une joie naïve, les yeux fixés sur son frère, c’était bien le plus charmant et le plus sympathique adolescent qu’il fût possible de voir ; le regard se détachait de lui avec regret. Franchement heureux de retrouver son frère, qu’il considérait avec respect et fierté comme un héros, il avait pourtant un peu honte de lui à cause de son éducation plus cultivée, de sa connaissance du français, de la fréquentation de personnes haut placées ; et, se trouvant supérieur à lui, il espérait parvenir à le civiliser. Ses impressions, ses jugements s’étaient formés à Pétersbourg sous l’influence d’une dame qui, ayant un faible pour les jolis visages, lui faisait passer les jours de fête dans sa maison ; Moscou y avait aussi contribué pour sa part, car il y avait dansé à un grand bal chez son oncle le sénateur.


VI


Après avoir causé à satiété, jusqu’à constater, ce qui arrive souvent, qu’ils avaient, tout en s’aimant beaucoup, fort peu d’intérêts en commun, les deux frères se turent pendant quelques instants.

« Eh bien ! prends tes effets, et partons », lui dit l’aîné.

Le cadet rougit et se troubla.

« Pour Sébastopol, tout droit ? demanda-t-il enfin.