Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/258

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— C’est mal, Volodia ! Qu’aurais-tu fait si tu ne m’avais pas rencontré ? lui dit l’aîné d’un ton sévère, toujours sans le regarder.

— Mais tu sais bien que je compte recevoir mes frais de route à Sébastopol ? et alors je le payerai,… cela se peut encore ; aussi je préfère y arriver avec lui demain ! »

Le frère aîné sortit en ce moment de sa poche une bourse dont ses doigts tremblants tirèrent deux assignats de 10 roubles chacun et un de trois…

« Voici tout ce que j’ai, dit-il. Combien te faut-il ? »

Il exagérait un peu en disant que c’était là toute sa fortune, car il possédait encore quatre pièces d’or cousues dans les parements de son uniforme, mais celles-là, il s’était bien promis de n’y pas toucher.

Il se trouva, tout compte fait, que Koseltzoff ne devait que 8 roubles, la perte au jeu et le sucre compris. Le frère aîné les lui remit, en lui faisant seulement remarquer qu’on ne devait jamais jouer quand on n’avait pas de quoi payer. Le cadet ne souffla mot, la remarque de son frère semblait jeter un doute sur son honnêteté. Irrité, honteux d’avoir commis un acte qui pouvait prêter à des soupçons ou à des réflexions blessantes pour lui de la part de son aîné qu’il affectionnait, sa nature impressionnable en fut si violemment bouleversée, que, sentant l’impossibilité de retenir les sanglots qui lui serraient le gosier, il prit l’assignat sans répliquer et le porta à son camarade.


VII


Nikolaïeff, après s’être restauré à Douvanka de deux verres d’eau-de-vie achetés à un soldat qui en vendait sur le pont, secouait ses rênes, et la télègue cahotait sur le chemin pierreux, espacé d’ombre à de rares intervalles,