Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/284

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avec effort, et, quand on abattait sa carte, une de ses mains s’agitait dans la poche vide de son pantalon. Il jouait gros jeu, mais sans argent, ce qui agaçait visiblement l’officier brun à la jolie figure. Allant et venant dans la chambre, une liasse d’assignats à la main, un autre officier, pâle, maigre et chauve, avec un énorme nez et une énorme bouche, mettait de l’argent comptant sur le va-banque et gagnait toujours.

Koseltzoff vida un petit verre d’eau-de-vie et s’assit à côté des joueurs.

« Voyons, Mikhaïl Sémenovitch, voyons, pontez ! lui dit l’officier qui taillait la banque, je parie que vous avez apporté une masse d’argent.

— Où en aurais-je pris ? Au contraire, j’ai dépensé mes derniers sous en ville !

— Vraiment ! vous aurez plumé quelqu’un, je suis sûr, à Symphéropol.

— Quelle idée ! repartit Koseltzoff, désireux de ne pas être cru sur parole, et, déboutonnant son uniforme pour se mettre à l’aise, il prit quelques vieilles cartes.

— Je n’ai rien à risquer, mais que le diable m’emporte ! qui peut prévoir la chance ?… Un moucheron lui-même peut parfois accomplir des prodiges ! Buvons toujours, pour nous donner du courage. »

Et bientôt après il avala un second petit verre d’eau-de-vie, un peu de porter par-dessus le marché, et perdit ses derniers trois roubles, pendant que cent cinquante s’inscrivaient au compte du petit officier à la figure moite de sueur.

« Ayez l’obligeance de m’envoyer l’argent, dit le banquier en interrompant la taille pour le regarder.

— Permettez-moi de remettre l’envoi à demain », répondit l’interpellé en se levant ; sa main remuait avec agitation dans sa poche vide.

« Hum ! fit le banquier, jetant avec dépit à droite et à gauche les dernières cartes du talon. On ne peut pas jouer