Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/295

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sions de la journée et ses occupations avaient en partie contribué à en diminuer la violence, et puis il est prouvé qu’une sensation à l’état aigu ne peut durer longtemps sans s’affaiblir ; en un mot, sa peur s’aguerrissait. À sept heures du soir, au moment où le soleil descendait derrière la caserne Nicolas, le sergent-major vint lui dire que les hommes étaient prêts et qu’ils l’attendaient.

« J’ai remis la liste à Vlang, Votre Noblesse, vous la lui demanderez », dit-il.

« Faut-il leur faire un petit discours ? se demanda Volodia en allant, accompagné du junker, rejoindre les vingt artilleurs qui, l’épée au ceinturon, l’attendaient dehors, ou bien faut-il leur dire simplement : Bonjour, mes enfants ! ou bien ne leur rien dire du tout ? Pourquoi ne pas leur dire : Bonjour, mes enfants ! Je crois que ça se doit » ; et, de sa voix pleine et sonore, il cria hardiment : Bonjour, mes enfants ! Les soldats répondirent gaiement à son salut ; sa voix jeune et fraîche avait agréablement caressé leurs oreilles. Il se mit à leur tête, et, bien que son cœur battît comme s’il venait de franchir quelques verstes en courant, sa démarche était légère et son visage souriait. Arrivé auprès du mamelon de Malakoff, il remarqua en le gravissant que Vlang, qui ne le quittait pas d’une semelle et qui lui avait paru si courageux là-bas dans leur logement, s’effaçait et baissait la tête comme si les boulets et les obus qui sifflaient ici sans interruption volaient droit sur lui ; quelques soldats faisaient de même, et la plupart des visages exprimaient, sinon la peur, du moins l’inquiétude ; cette circonstance acheva de rassurer et de ranimer son courage.

« Me voilà donc, moi aussi, sur le mamelon de Malakoff ! Je me le figurais mille fois plus terrible, et je marche, j’avance sans saluer les boulets ! J’ai donc moins peur que les autres, je ne suis donc pas un poltron ? » se disait-il tout joyeux, avec l’enthousiasme de l’amour-propre satisfait.