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Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/34

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Après avoir fait quelques pas, Lucas s’arrêta devant une mare et siffla.

« Vois-tu, dit-il à voix basse, c’est ici qu’ils viennent s’abreuver. » Et il montrait les traces récentes du sanglier.

« Que le Christ te sauve, dit le vieux ; ils viendront ici ; je reste ; et toi, va-t’en. »

Lucas serra sa bourka autour de son corps, et revint sur ses pas, le long de la rive, jetant de rapides regards tantôt vers les roseaux, tantôt vers le Térek, qui grondait sourdement dans ses bords. « Ils nous guettent aussi, se dit-il en pensant aux Abreks ; l’un d’eux se glisse peut-être ici pour nous surprendre. »

Un craquement subit dans les roseaux et un clapotement de l’eau le firent tressaillir ; il saisit sa carabine. La forme noire d’un sanglier, se détachant de la surface miroitante du fleuve, disparaissait dans les roseaux. Lucas visa, mais la bête s’enfuit avant qu’il eût eu le temps de lâcher la détente. Lucas fit un geste de dépit et continua son chemin. En approchant du secret, il siffla ; un sifflet pareil lui répondit, il avança vers ses camarades.

Nazarka dormait enveloppé dans sa bourka ; Ergouchow était assis sur ses pieds repliés ; il fit place à Lucas.

« Il fait bon veiller ici, dit Ergouchow, l’endroit est excellent. As-tu reconduit le vieux ?

— Je l’ai reconduit, répondit Lucas, étendant à terre sa bourka. Quel beau sanglier j’ai fait lever, près de l’eau ! L’as-tu entendu ?

— Oui, dit Ergouchow, j’ai entendu le craquement des joncs et je me suis dit que tu faisais lever une bête. »

Ergouchow s’enveloppa de sa bourka.

« Je m’en vais faire un petit somme, réveille-moi au second chant du coq ; le service l’exige ; puis tu dormiras et je veillerai.

— Merci, je n’ai nullement sommeil », répondit Lucas.

La nuit était calme, tiède et sombre. De rares étoiles brillaient d’un côté de l’horizon ; la plus grande partie du